Elle devrait notamment éviter les cas où la dette est soldée avant la décision du juge, laissant les charges de la procédure à la copropriété et donc aux copropriétaires diligents ».
L’objectif de cette saisie pour le syndicat, est de se ménager la possibilité d’engager une procédure d’exécution forcée à l’encontre du copropriétaire, lorsqu’il aura obtenu, parfois après plusieurs années, un titre exécutoire à l’issue d’une procédure au fond ou accélérée au fond.
Cette possibilité de procéder à une saisie conservatoire avant tout procès soulève quelques interrogations pratiques :
- quelles seront les pièces nécessaires : décompte et procès-verbaux d’assemblée actant de ces créances ?
- le Commissaire de Justice qui n’a pas les coordonnées bancaires pourra-t-il interroger les fichiers bancaires grâce à un accès au Ficoba et obtenir ainsi que la levée du secret bancaire ?
- une procédure accélérée au fond devra être initiée dans le délai d’un mois sur le fondement de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 ou une procédure au fond serait-elle suffisante ?
La situation du recouvrement des charges de copropriété avant cette réforme (I) permet de comprendre l’intérêt de cette nouvelle saisie conservatoire des charges de copropriété (II).
I) Avant la réforme : pas de saisie de charges sans procédure judiciaire.
Le principe de la saisie conservatoire était d’obtenir une autorisation (A) sauf dans certains cas précis (B) laissant le syndicat des copropriétaires en difficultés pour l’exécution de certaines décisions de condamnation (C).
A) L’autorisation conditionnée.
L’article 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit qu’un créancier peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de deux conditions cumulatives :
- la créance est fondée dans son principe et
- des circonstances sont susceptibles d’en menacer le recouvrement.
B) Les exceptions et notamment le cas du bailleur.
L’article L511-2 prévoit que par exception le créancier peut se dispenser de l’autorisation du juge :
- S’il dispose d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire
- en cas de défaut de paiement d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre, d’un chèque ou
- d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit.
Ensuite, en application de l’article L511-4, à peine de caducité de la mesure conservatoire, le créancier doit dans le délai d’un mois, initier une procédure judiciaire.
Ainsi, pour un recouvrement de loyers et charges d’habitation, le bailleur disposant d’un bail écrit et d’un arriéré de loyer peut procéder à une saisie conservatoire et assigner dans le délai d’un mois.
En revanche, pour des charges de copropriété, il était obligatoire pour le syndicat d’obtenir une autorisation judiciaire pour pratiquer une saisie conservatoire devant le juge de l’exécution.
Autrement dit, le syndicat des copropriétaires était soumis aux conditions restrictives de l’article L511-1.
En pratique, cette saisie conservatoire n’était donc pas utilisée pour le recouvrement des charges de copropriété.
C) Les difficultés pour l’exécution des décisions.
Pour mémoire et afin de faciliter le recouvrement, en plus du super privilège du syndicat, la dernière réforme avait créé une super procédure de recouvrement des charges visées à l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965.
Elle permet d’obtenir plus vite à la fois l’arriéré des charges approuvées et les provisions sur charges votées rendues exigibles par anticipation.
Toutefois et de manière générale, des défauts persistent pour le recouvrement des charges.
Certains copropriétaires en bout de procédure organisent leurs insolvabilités, dissimulent ou dissipent leurs patrimoines. En matière médicale, on dit l’opération est réussie mais le patient est mort.
Avec la médiation obligatoire pour les créances inférieures à 5.000 euros, et les longs délais de procédure, bien qu’un jugement ait été obtenu contre le copropriétaire, parfois il est très difficile de l’exécuter (saisie attribution, sur loyer, rémunération et immobilière).
Il convient de souligner une dernière difficulté, le syndicat des copropriétaires, bien que titulaire de privilèges visés aux articles 19 et 19-1 de la loi du 10 juillet 1965 entre souvent en concours avec d’autres créanciers.
Ainsi, le syndicat des copropriétaires risque, lors d’une opposition au prix de vente ou lors d’une distribution prix de vente à la suite d’une saisie immobilière de ne pas être réglé sur les causes de son jugement.
II) Après la réforme : une saisie conservatoire de charges facilitée.
Les syndicats de copropriétaires peuvent procéder à des « mesures conservatoires déjudiciarisées » (A) dans certaines conditions d’application et de mise en œuvre (B).
A) La saisie conservatoire des charges déjudiciarisée.
Cet article est introduit via l’article 19 de loi dite habitat dégradé qui modifie l’article L511-2 du Code des procédures civiles d’exécution.
Ce dernier prévoit désormais :
« Une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire. Il en est de même en cas de défaut de paiement d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre, d’un chèque, des provisions mentionnées au premier alinéa de l’article 19?2 de la loi n° 65?557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, exigibles ou rendues exigibles dans les conditions prévues au même article 19?2 ou d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeubles ».
Autrement dit, une nouvelle exception permet d’obtenir une saisie conservatoire sans saisir le juge.
Le syndicat des copropriétaires représenté par son syndic, pourra obtenir sans procédure judiciaire une saisie sur les biens du copropriétaire : comptes en banque, meubles, loyers...
Il pourrait s’agir également d’une sureté judiciaire (nantissement de fonds de commerce, de parts social).
En conséquence, l’avocat pourrait demander au Commissaire de Justice de procéder à cette saisine juste avant d’initier la procédure judiciaire.
B) Conditions et mise en œuvre.
1) Les conditions d’application.
Pour les créances concernées (a), le syndic devra procéder à une mise en demeure (b) saisir un commissaire de justice pour procéder à la saisie (c) puis demander à l’avocat de délivrer une assignation dans le délai d’un mois (d).
a) Les créances concernées :
Il s’agit de créances visées au premier alinéa de l’article 19 2 de la loi du 10 juillet 1965.
Cet article prévoit que :
« A défaut du versement à sa date d’exigibilité d’une provision due au titre de l’article 14-1, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application du même article 14-1 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles ».
Ces créances visées sont :
- Les provisions exigibles : les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles. Autrement dit, il s’agit de l’arriéré des charges sous réserve d’une approbation par une décision d’assemblée générale non contestée pendant 2 mois
- Les provisions rendues exigibles : celles dues au titre du budget prévisionnel de l’exercice en cours, des travaux et cotisation au fonds de travaux votés. Autrement dit, les provisions qui ont été votées devenant exigibles par anticipation.
L’alinéa 1 de l’article 19-2 ne vise pas les frais de recouvrement qui ne pourront donc pas être compris dans l’assiette de la saisie.
b) La mise en demeure préalable :
Le copropriétaire devra au préalable avoir reçu une mise en demeure restée infructueuse, passé un délai de trente jours. Cette mise en demeure est nécessaire afin d’initier une procédure accélérée au fond et de rendre ces provisions exigibles par anticipation.
Toutefois, il n’est pas certain que cette condition de délai soit exigée pour initier une saisie conservatoire considérant que l’article 19 du projet loi vise uniquement les provisions concernées par l’article 19-2 et non pas la procédure visée à cet article.
Néanmoins, nous recommandons d’initier cette mise en demeure au préalable et que le délai d’un mois soit acquis pour deux raisons :
D’une part, la saisine du juge devra intervenir ensuite dans le délai d’un mois. Afin d’initier la procédure 19-2, il est nécessaire que la mise en demeure soit notifiée au copropriétaire.
D’autre part, certaines juridictions de première instance ont une vision restrictive et pourraient être attentives à des exceptions soulevées par des copropriétaires débiteurs.
c) L’intervention du commissaire de justice procédant à la saisie :
Le nouvel article L511?2 du Code des procédures civiles d’exécution est muet sur les éléments à adresser au commissaire de Justice pour pratiquer la saisie, il se contente d’indiquer les provisions concernées.
On peut regretter ce silence.
A l’inverse, ce texte est plus explicite pour les autres exemples : en matière locative il indique qu’il est nécessaire d’obtenir « un contrat écrit de louage d’immeuble », en matière bancaire il vise « défaut de paiement d’une lettre de change acceptée billet à ordre ».
On peut imaginer que pour justifier de la créance de charges de copropriété, le Commissaire de Justice devra obtenir :
- les provisions exigibles : les procès-verbaux qui approuvent les charges des exercices concernant les créances exigibles
- les provisions rendues exigibles : les procès-verbaux qui votent le budget prévisionnel, les travaux, cotisation au fonds de travaux et qui approuvent les charges des exercices concernant les créances à échoir
- le décompte actualisé de la créance.
Toutefois, peut-être que ces pièces ne seront pas suffisantes et qu’un contentieux pourrait naître concernant la réalité des provisions concernées lors de demandes de mains-levées.
Dans le scénario maximaliste, il conviendrait également de fournir au commissaire : contrat de syndic, règlement de copropriété, titre de propriété, l’ensemble des appels de fonds concernés, certificat de non-recours, la mise en demeure visant l’article 19-2…
Ensuite, le Commissaire de Justice fera l’inventaire et l’estimation des comptes bancaires et des biens du copropriétaire. Il immobilisera enfin les biens et les sommes correspondant à ce qui est réclamé par le syndicat au titre des charges impayées.
Cette procédure n’est pas contradictoire, autrement dit le copropriétaire ne sera pas informé de la mesure avant d’être saisi : l’effet de surprise.
L’article L521-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que la saisie peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant au débiteur.
Ces biens saisis permettront de payer les dettes du copropriétaire et ainsi à rendre efficace la décision de justice à venir.
Le commissaire de justice n’aura pas besoin d’obtenir une autorisation de l’assemblée générale pour réduire une saisie conservatoire. En effet, l’article 55 du décret du 17 mars 1967 prévoit qu’
« une telle autorisation n’est pas nécessaire pour les actions en recouvrement de créance et les mesures conservatoires (…) ».
Une fois la saisie conservatoire exécutée, le créancier devra à peine de caducité la dénoncer à son débiteur dans un délai de 8 jours.
d) Délivrer une assignation dans le délai d’un mois.
La saisie est caduque si le syndicat des copropriétaires n’agit pas en justice dans le délai imparti d’un mois.
L’article R511-7 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que :
« Si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire ».
Le syndicat des copropriétaires requérants engagera donc une procédure lui permettant d’obtenir un titre exécutoire dans le mois de l’exécution de la mesure sollicitée.
Lors de cette instance, le copropriétaire pourra se défendre s’il estime que la créance n’est pas fondée.
On peut se demander si cette action devra emprunter la procédure accélérée au fond ou si une procédure classique au fond serait suffisante.
Selon notre interprétation, il ne faut pas ajouter des conditions à loi. En conséquence, il serait possible de procéder à une saisie sur une « petite assiette » (les seules provisions exigibles).
C’est-à-dire se procéder à une saisie sur les seules provisions exigibles, de manière à ne pas emprunter systématiquement la procédure accélérée au fond.
En revanche, si le syndicat des copropriétaires souhaite procéder à une saisie de la « grande assiette » (correspondant aux provisions exigibles et celles rendues exigibles), il devra alors emprunter la procédure de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965.
Cette question présente un intérêt pratique, car certaines juridictions de première instance rejettent pour des motifs farfelus cette procédure de l’article 19-2 afin de ne pas engorger leurs juridictions…
En outre, la super procédure contraint le syndic pour justifier de la créance à produire un décompte prévisionnel des charges dues. Néanmoins, son logiciel métier n’est pas nécessairement adapté pour cette fonction.
2) La mise en œuvre de la saisie.
Dans la mise en œuvre, trois sujets peuvent intervenir : l’absence de coordonnées bancaires, la contestation de la mesure d’opposition et à la fin la conversion de la saisie conservatoire en exécution.
- L’absence de coordonnées bancaires.
La reine des saisies conservatoires est celle qui intervient sur le compte en banque.
Une difficulté peut intervenir pour procéder à cette saisie, si le syndic ne dispose pas des coordonnées bancaires.
Dans ce cas, le syndicat des copropriétaires peut solliciter le fichier bancaire Ficoba en saisissant par requête le juge de l’exécution afin d’obtenir in fine la levée du secret professionnel.
Cette possibilité a été introduite depuis la réforme des suretés du 22 décembre 2021 par l’article L152-1 du Code des procédures civiles d’exécution.
A défaut de coordonnées bancaire, il devra demander devant le juge de l’exécution d’autoriser le syndicat des copropriétaires de procéder à une saisie conservatoire sur les comptes bancaires ouverts au nom du copropriétaire débiteur afin d’obtenir ensuite l’autorisation d’accéder au Ficoba.
L’article L151 A du livre des procédures fiscales dispose en effet :
« Aux fins d’assurer l’exécution d’un titre exécutoire, l’huissier de justice peut obtenir l’adresse des organismes auprès desquels un compte est ouvert au nom du débiteur ».
- La contestation de la mesure d’opposition.
Le copropriétaire pourrait contester le bien-fondé de la saisie devant le Juge compétent, qui pourrait alors condamner le syndicat des copropriétaires à des dommages-intérêts pour réparer le préjudice causé par la mesure [1].
Le copropriétaire pourrait à ce titre contester le bien-fondé en prouvant que la créance n’était pas certaine dans son principe ou qu’il n’existait pas de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
Toutefois, il pourra se prévaloir uniquement des motifs liés au formalisme de la saisie conservatoire. Il ne pourra pas se prévaloir des exceptions liées à la créance.
- La conversion de la saisie conservatoire en exécution.
Enfin, une fois la saisie réalisée, et le titre exécutoire obtenu à l’issue d’une procédure, le syndicat pourra se faire payer sur les biens saisis ou les sommes immobilisées.
Le commissaire de justice pourrait par exemple convertir la saisie conservatoire en saisie attribution sur le compte en banque, le cas échéant.
Ainsi, le syndicat des copropriétaires peut éviter les situations de concours avec les autres créanciers sur les fonds qu’il a bloqué.
Pour conclure de manière optimiste et poétique...
Cette super saisie conservatoire permettra au syndicat des copropriétaires d’éviter certaines procédures pour rien et d’augmenter ses chances de négocier en cours d’instance.
Il pourrait ainsi prendre le mal de l’impayé à la racine, étouffer la dette dans l’œuf et saisir le compte avant qu’il ne soit trop tard.
Une fois le titre obtenu, il pourra plus efficacement « rafler la mise » avant les autres créanciers.
Il n’est pas féroce d’agir de manière précoce et conservatoire avant qu’il soit trop tard : l’intérêt des autres copropriétaires de ne pas être embarqué dans une ruine délétère."
Source :
Charles Bohbot, Avocat au barreau de Compiègne
Cabinet BJA Avocats
Article publié sur : https://www.village-justice.com/